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Prévoir et anticiper les mutations des secteurs sanitaires et médico-sociaux suppose que nous nous emparions des grands défis.
Si on parle du vieillissement de nos populations, nous devons commencer à penser notre système sanitaire et médico-social pour demain.
Que nous restions dans le droit commun, ou que nous puissions disposer d’adaptations dans notre domaine : ce sont des considérations politiques. Mais, quel que soit le cas de figure envisagé, nous pouvons perfectionner l’offre de soins sur le territoire, la performance de nos établissements, contribuer à la problématique de l’emploi.
Il s’agit toujours d’améliorer l’offre en utilisant les outils qui sont à notre portée et sur notre territoire. Des marges de manœuvres existent et sont à exploiter.
A propos, l’actuel Président de la République dans une adresse aux élus ultramarins, sur un autre sujet il est vrai, a évoqué un droit à la différenciation. Selon moi, nous pourrions préfigurer à un système à la carte, tiré des projections démographiques et des modélisations économiques de notre territoire pour préparer demain.
En Guadeloupe, l’offre sanitaire et médico-sociale est bien connue. Les deux secteurs souffrent peut-être d’un cloisonnement forcément préjudiciable aux populations.
On connait bien les Établissements d’Hébergement pour Personnes âgées Dépendantes (EHPAD), le Centre Hospitalier Universitaire de Guadeloupe (CHUG), le Centre Hospitalier de la Basse-Terre (CHBT), mais la distinction entre les deux secteurs est peu connu.
Par exemple, une Maison d’Accueil Spécialisée (MAS) est qualifiée par les familles d’un “centre”, où elles savent leurs enfants accueillis.
Si les familles, pour la plupart, savent qu’un de leurs proches y est accueilli, et en sont satisfaites, elles méconnaissent souvent les missions, les attendus, les instances de participation à la vie de l’établissement.
Un important travail de communication est indispensable pour bien expliquer les missions des deux secteurs ainsi que l’offre disponible. La mise en lumière de la régulation de l’offre a permis de répondre, en son temps, aux problématiques.
Le secteur sanitaire, représenté essentiellement par des établissements publics de santé, s’organise. Les enjeux sont protéiformes.
Si on pointe souvent du doigt la situation financière et budgétaire dégradée de certains établissements, le législateur accentue sur les efforts territoriaux à envisager au titre de la mutualisation.
Pour ce faire, notre territoire s’est doté d’un Groupement Hospitalier de Territoire (GHT) qui a vu le jour en janvier 2019, comme dans d’autres régions de l’hexagone. Ce groupement associe l’ensemble des établissements publics pour répondre à l’enjeu de la fluidification de l’information au patient pour les filières de soins, avec en projet un dossier patient mutualisé notamment, véritable gain de temps pour les professionnels.
De plus, le GHT vise à renforcer les mutualisations de certaines fonctions supports comme les achats, les fonctions logistiques, pour décloisonner les acteurs sur un territoire de moins de 400 000 habitants comme le nôtre.
Est-ce à dire que comme en Île de France ou à Marseille, l’on assisterait dans quelques années à la création d’un établissement « Assistance Publique – Hôpitaux de Guadeloupe » ?
A l’échelle de notre territoire, cela créerait un nouvel établissement autour de notre actuel CHU, doté de la personnalité juridique, en produisant de l’efficience et des gains de productivité et surtout permettrait à l’usager de n’avoir qu’un acteur de soins, pour ses prises en charge, dans l’ensemble des autres sites hospitaliers.
Cela créerait du sens, avec un établissement doté d’une taille critique, permettant également une mutualisation des fonctions RH, avec un système d’information, gage de qualité pour le patient.
Si le secteur médico-social semble pâtir d’un attrait moins prestigieux, il faut se replonger dans l’histoire.
L’Hôpital en France est sacré et il aura fallu les lois jumelles de 1975 : 534-75 et 535-75 pour partitionner les activités sanitaire et sociale en deux secteurs distincts.
Chez nous, l’hôpital Joseph RICOU, à Pointe-à-Pitre ; le Camp Jacob à Saint-Claude ou Saint-Hyacinthe à Basse-Terre, ont marqué les esprits.
Il y a eu également une forte empreinte des religieuses consacrées officiant dans les hospices.
Le médico-social, du fait d’une forme d’hospitalo-centrisme, de prééminence du corps médical…, a connu des fortunes diverses et on le constate aujourd’hui.
En Guadeloupe, comme partout dans l’hexagone, le secteur médico-social est riche de plusieurs associations qui ont bien compris les enjeux des prises en charge et y ont répondu largement.
Toutefois, les grands défis auxquels nous serons confrontés demain devraient nous inciter à réfléchir à un positionnement qui associe l’ensemble des acteurs en dépassant le cadre des unions sacrifiées parfois sur l’autel des pré-carrés.
Aussi, la création d’un Groupement de Coopération sociale et médico-sociale (GCSMS) semble être une des réponses à la hauteur des enjeux qui se profilent.
A l’instar des GHT, le GCSMS est un véritable instrument juridique. Ce n’est d’ailleurs pas une nouveauté puisque cet arsenal était déjà prévu par la loi de 2002, dite de rénovation de l’action sociale et médico-sociale.
Aussi, le GCSMS renforcerait une vraie coopération entre toutes les associations du secteur, en instaurant une nouvelle logique dite « de parcours », basée sur un accompagnement personnalisé.
L’ambition portée par cette nouvelle entité permettrait de favoriser à la fois, une mutualisation des moyens, des services, des outils et des équipements.
Les Contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens (CPOM) instaurés par la « Loi Adaptation de la Société au Vieillissement » (ASV) du 28 décembre 2015 sont à la portée des associations du secteur qui ont la lourde tâche de contractualiser avec l’État pour requérir des moyens.
Négocier avec l’État, acteur doté des prérogatives de puissance publique, implique une auto-analyse fine et une projection pointue, à la hauteur des enjeux à venir et des projets à construire, à l’orée des incertitudes liées aux contextes politiques, économiques, sociaux et sanitaires générés par la pandémie actuelle.
Outre l’enjeu d’apporter efficience et performance, il s’agit surtout de mieux connaître les besoins, très nombreux, et d’organiser nos réponses, d’une riche diversité, à la veille de la réforme de la tarification du secteur qui se profile : « SERAPHIN-PH ».
A l’instar de la réforme de la tarification à l’activité dite de la T2A et de l’introduction vécue comme brutale, d’un système imaginé par Jean de KERVASDOUE depuis 1983, la réforme « SERAPHIN-PH » va modifier radicalement le paradigme d’un financement aujourd’hui à priori et sur la base des dotations globalisées, versées aujourd’hui par les Caisses d’assurance maladie et les Départements.
A propos, la question du financement de certains établissements médico-sociaux de la Guadeloupe pourrait s’avérer problématique. En effet, les finances du Département ne sont pas inépuisables, dans un territoire où le taux de chômage avoisine les 21%, dont 41% sont des jeunes de 15 à 29 ans (source : Insee Analyses Guadeloupe – Avril 2020, n°42).
La crise sanitaire actuelle, selon les mots de l’actuelle Présidente du Département, a mis le doigt, s’il en fallait, sur une réalité : « L’augmentation de 90M€ de RSA supplémentaires à verser chaque année obère les finances de la collectivité dite de toutes les solidarités », a-t-elle exprimé dans la presse écrite et parlée.
Même si la question de la recentralisation de cette prestation a été posée, il reste encore à la mettre en œuvre.
Les dialogues de gestion risquent donc d’être extrêmement soutenus pour bien calibrer un engagement de la dépense, pour un Plan Global de Financement Pluriannuel sur 6 ans.
La réforme « SERAPHIN-PH » pourrait, à très court terme, concerner nos établissements médico-sociaux, dont certains s’engagent avec leurs organisme-gestionnaires dans une contractualisation à risque de contentieux, même si la culture du contentieux devant le Tribunal des affaires de sécurité sociale est pauvre en Guadeloupe.
Le bras armé de la réforme de la tarification prévue depuis 2015 modifiera considérablement le paradigme du financement qui va évoluer.
Il s’agira en somme d’abandonner les tarifications globales actuelles, au profit de tarifications personnalisées, qui tiennent compte des besoins spécifiques de l’usager, en introduisant des équations tarifaires, des actes, des cotations.
L’objectif est donc double : accorder des crédits qui correspondent à une juste évaluation du besoin tout en limitant les mécanismes inflationnistes des dépenses par établissement pour respecter les objectifs de réduction des déficits publics et de l’Objectif National des Dépenses d’Assurance Maladie (ONDAM).
En d’autres termes, l’on passe d’un budget global avec son taux directeur à un financement par l’activité.
Le secteur est-il prêt à l’onde de choc ?
La médicalisation du système d’information médico-sociale, une sorte de Programme associé (PMSMS) inclura des codages, regroupant des pathologies, des diagnostics, des groupes iso-ressources…
Or le caractère technique d’une telle réforme portée par une entité commune permettrait aux établissements de se libérer de ces équations pour lesquelles, il faut le dire, nous ne sommes absolument pas préparés.
Ces évolutions s’accompagnent, outre une transition numérique d’envergure, avec les outils informatiques à déployer et la réglementation associée (RGPD etc…), d’une révolution dans les esprits et les pratiques.
Autrement dit, il faudrait mener une conduite de changement avec souplesse et ambition pour les 10 prochaines années puisque le secteur relativement épars est condamné à se restructurer.
Concomitamment à la question des réformes contractuelles et tarifaires, se pose quotidiennement la question d’un déficit en terme de moyens pour notre territoire.
En responsabilité, j’ai rapidement fait le constat que nous ne disposions pas d’une solution qui satisfasse chaque famille pour un adulte porteur d’autisme.
La prévalence mondiale pour l’autisme avec méta-analyse a estimé une prévalence à 7,2/1000, soit 1/132 personnes il y a 10 ans.
Le taux de prévalence nationale est en hausse pour atteindre, selon des études communément admises, 1% de la population, enfant et adultes confondus.
A noter que l’amélioration des diagnostics est à mettre en lien avec l’augmentation du taux de prévalence constaté.
Diverses études en cours comme l’analyse du génome, les éventuels impacts environnementaux ou la consommation du médicament dénommé Dépakine® ne suffisent pas encore à déterminer les causes de cet handicap.
En Guadeloupe, pour 396 153 personnes (selon le dernier recensement INSEE), on pourrait estimer qu’environ 2 à 3000 personnes bénéficieraient d’un diagnostic posé de Troubles du spectre autistique.
Or, seules 80 places d’hébergements ou d’accueil de jour sont offertes au titre des accompagnements.
Redimensionner une offre et développer de nouvelles réponses semblent relever de l’évidence.
Développer l’offre de répit, proportionner des établissements d’hébergements en reconstruisant des structures plus adaptées, augmenter les capacités d’accueil de jour, répondre aux urgences, créer des plateformes de répit, transformer l’offre pour répondre à la personne handicapée et vieillissante : voilà les principaux axes sur lesquels porte le 4ème plan Autisme.
Mais cette réponse, qui se veut inclusive, ne met pas suffisamment l’accent sur la place de l’adulte porteur d’autisme par exemple et dont le vieillissement pose la question de la poursuite de son accompagnement en structure pour adultes indépendants.
Dans le périmètre d’un GCSMS guadeloupéen, en lien avec le Plan Régional de Santé, la notion de parcours, au-delà de la mutualisation essentielle des fonctions supports, répondrait ainsi de la petite enfance jusqu’à l’âge avancé, aux problématiques qui ne nécessitent pas de soins critiques.
Les objectifs posés sont doubles : l’élaboration d’un schéma médico-social partagé, associant le Département et l’ARS ; et une réponse territoriale aux besoins des usagers favorisant l’égal accès aux accompagnements.
La préfiguration de ce nouvel outil au service du territoire, en complémentarité avec le secteur sanitaire et son GHT actuel, constituerait une réponse locale pour répondre aux enjeux de demain tout en garantissant une offre médico-sociale ambitieuse.
« Il y aura de la place pour tous, au banquet de la conquête ». (Aimé CESAIRE)
Soyons à la hauteur des enjeux de demain pour le « péyi Gwadloup ! ».
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