Un défi RH : manager sans recettes

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C’est régulièrement que des managers, des chefs d’entreprise, des étudiants, des personnes devant mettre en place des dispositions managériales me reprochent de ne pas donner de “recettes” dans mes ouvrages, dans mes conférences ou dans les formations que je dispense.

Alors nous allons régler cette question une bonne fois pour toute.
Des recettes il n’y en a pas !

En tous cas pas de toutes faites, prêtes à l’emploi et à dupliquer en toutes circonstances. Donc celui ou celle qui cherche des recettes ici peut d’ores et déjà passer à autre chose et vaquer à ses occupations.

En effet, dans le domaine du management et de la gestion des hommes au travail, nombre de personnes se trouvent démunies face à certaines situations qui se présentent à elles. 

Il est vrai que l’importante littérature qui parait chaque année sur le sujet peut laisser penser que l’on pourrait y trouver outre des techniques, des modes d’emploi voire des recettes ficelées prêtes à l’emploi, adaptables, transférables ou reproductibles dans toutes les situations.  

Malheureusement il n’en est rien! Et c’est certainement tant mieux vu la complexité de la matière et de son sujet d’application : l’être humain.
En effet comment pourrait-on expliquer que face à des situations très différentes ou même éventuellement très ressemblantes que l’on puisse vouloir apporter des réponses similaires quand on sait que le seul point commun à ces situations est l’Homme, l’être humain ?

Des êtres humains dont il n’est plus à démontrer la singularité, l’unicité.

Nous pourrions paraphraser le musicien guadeloupéen Luc-Hubert Séjor qui explique cette singularité des créations de la nature et par extension de l’être humain, l’Homme, par la phrase “tout mango ni gou à mango mé chak mango no gou ay ki tay” (toutes les mangues ont le gout de la mangue mais chaque mangue possède sa propre saveur).  

Leibniz rappelle que la moindre feuille du moindre arbre est distincte de toutes les autres feuilles du même arbre. La nature ne produit que du singulier. L’homme est singulier. Il y a des singularités chez tous les hommes et des points communs chez chacun d’eux et ce sont ces points communs qui permettent de dessiner la figure de l’homme générique qui n’existe pas en tant que tel.  

Il est vrai qu’il serait certainement beaucoup plus facile de gérer les ressources humaines, les hommes au travail avec un mode d’emploi, un guide, un mémento ou des procédures, des recettes. Avoir un mode d’emploi comme pour les ordinateurs ou les autoradios avec une liste des pannes possibles et les solutions à mettre en place quand ça ne marche pas, les boutons à appuyer, serait à ne pas en douter d’une grande aide pour le manager. Il n’en est rien malheureusement.  

Sans ces solutions pré-pensées, le chef d’entreprise, le cadre, le responsable quel qu’il soit qui doit manager est donc livré à lui-même, à son intelligence et à son propre génie créateur, a son intuition.
 
La gestion des ressources humaines, le management impose une approche nécessairement individualisée et individualisante des individus. Même dans le cadre d’u groupe, les approches doivent parfois s’individualiser dans une certaine mesure. Car, en effet, l’individu, même au sein d’un collectif de travail, d’une équipe garde sa singularité. 

Le groupe, le personnel, l’équipe de travail n’est pas un tout homogène et fusionnel qui regarde et va toujours dans le même sens qui serait celui de l’intérêt supérieur de l’entreprise, de l’organisation.

L’équipe, le collectif de travail est une somme d’individualités, de singularités. Plus que tout autre il faut se rappeler que l’équipe de travail, le personnel d’une entreprise ou d’une administration est une agrégation, une association d’individus. 

Tous ces personnels (salariés, personnels d’encadrement managers, collaborateurs, chefs d’entreprise…) arrivent au sein de l’organisation avec leur personnalité, leur caractère, leur tempérament, leur formation, leurs diplômes, leurs diverses expériences propres mais aussi et surtout et c’est là l’élément le plus important à notre sens : avec leur histoire de vie personnelle.

La personnalité pour Maddi est un ensemble de caractéristiques et de tendances qui déterminent les points communs et les différences du comportement psychologique- pensées, sentiments et actions- des gens, comportement qui présente une continuité dans le temps et ne peut être aisément attribué aux seules pressions sociales et biologiques du moment. 

La personnalité correspond aux caractéristiques qui expliquent les schémas habituels de comportement d’une personne, c’est ce qui fait l’unicité d’un individu. Elle se constitue essentiellement dans l’enfance et est un des déterminants principaux du comportement individuel dans les organisations.  

L’histoire de vie, elle, donne des codes singuliers d’accès à la réalité du moment donc aux situations professionnelles, individuelles et collectives mais plus largement à la vie tout simplement. Lewin explique que le comportement d’une personne est à la fois fonction des caractéristiques de la personne et des caractéristiques de son environnement social. C’est la complémentarité entre l’individu, le groupe et le milieu qui constitue l’espace de vie des personnes.  

Dès lors, où prendre donc les recettes pour manager et plus précisément pour appréhender les situations relationnelles au sein de l’entreprise?

Le fondement, le creuset où se forgeront des recettes est indubitablement le manager lui-même et son histoire. Pour certains managers aguerris, la source d’inspiration de leur management se trouvera dans leur enfance, les valeurs qui les ont guidés dans leur cheminement dans l’apprentissage familial qui servaient aussi de socle de référence dans l’éducation donnée par la famille.

Ce socle, potomitan de sa science, s’adosse parfois à des formations et des lectures dans le domaine, à des séminaires, des rencontres qui conduisent à un management structuré autour d’un élément éclairant pour sa démarche : son intuition.  

L’intuition, outil de management majeur, permet de mettre en place un management collectif et/ou individualisé qui aide à faire des choix qui conduisent à des “échecs” qui peuvent être réinvestis et se transformer en éléments d’expérience supplémentaires qui enrichiront l’expérience de vie.

Pour d’autres managers, généralement plus jeunes, les recettes proviendront de leur formation, souvent diplômantes voir hyper diplômantes. Formations qui vont s’enrichir de réussites ou “d’échecs” au fur et à mesure de l’exercice de la fonction.

Avec le temps, les années d’expérience, les expériences diverses et variées ces managers diplômés réussiront pour la plus part à faire se rencontrer leur formation universitaire européenne, leur histoire de vie personnelle et l’histoire de leur société, la société guadeloupéenne pour ce qui nous concerne. Société guadeloupéenne qui comme tout le monde le sait porte en tant que société post-esclavagiste les stigmates de l’économie de plantation.
Elles sont visibles particulièrement à travers des démarches encore bien vivaces de catégorisation, d’auto-catégorisation, de groupes ethniques d’assignation, de groupes d’appartenance, à travers les stéréotypes, les préjugés et des pratiques basées sur des nuances dites “raciales” mais orientées en fait sur les nuances de couleur de peau. Ces stigmates se retrouvent aussi beaucoup dans l’approche avant tout épidermique que beaucoup ont de leurs relations aux autres surtout dans le monde du travail.  

Il n’y a pas une théorie de management pour les “blancs” et une autre pour les “noirs”. Il n’y a surtout pas une technique pour manager le “nègre” comme beaucoup le pensent. Le management pour être intelligent devra avant tout tenir compte de l’Histoire, de la culture et des us et coutumes du pays où il doit s’exercer. Pour ce qui nous concerne en Guadeloupe mais aussi en Martinique, le manager d’origine africaine devra se former, s’informer et se cultiver pour bien appréhender les conséquences de l’épidermisation historiques des relations de travail issues de l’esclavage sur le management des afrodescendants comme lui mais aussi des dits blancs.

La relation de travail de type esclavagiste a produit en effet une “épidermisation des relations de travail” attribuant historiquement le commandement aux “blancs” et l’exécution aux “noirs”. Dès lors dans bien des cas, le “noir” en situation de management est vu comme illégitime, a-normal et donc plus facilement contestable.

Il s’agira pour tous les managers, chefs d’entreprise, collaborateurs, salariés de bien comprendre que les situations professionnelles même si elles se ressemblent sont uniques.

Chaque scène de la vie, chaque situation est une situation nouvelle et exige donc des réponses nouvelles.

Le manager, le chef d’entreprise qui souhaite mettre en place des dispositions managériales qui semblent sécurisées doit tout d’abord intégrer que la gestion des ressources humaines, le management n’est pas une science exacte mais une science humaine.

Dès lors toutes les actions, les situations étant basées sur des relations humaines devront être appréhendées avec toute la complexité liée à l’être humain. 

Le manager devra faire l’effort de faire des choix, de prendre des décisions. Ceux-ci ne seront pas de façon assurée les meilleurs mais seront ceux qui sembleront les meilleurs au moment où la décision sera prise avec les éléments à sa disposition pour prendre cette décision. 

Il devra aussi se débarrasser d’un certain nombre de peurs qui le paralyse comme la peur de ne pas être légitime à son poste de manager, d’avoir une représentation syndicale au sein de son entreprise ou d’être contredit dans une réunion, un groupe de travail par des collaborateurs d’un rang hiérarchique inférieur, ou encore d’être accusé de trahir un quelconque groupe social ou “racial” d’appartenance.

Pour ce qui est par exemple de l’appréhension des organisations syndicales les managers, les chefs d’entreprise qui se forment ont souvent recours à des conseillers qui leur permettent de mettre en place des dispositions dans le respect du code du travail et de rencontrer les organisations syndicales sans appréhension.

Dans le domaine de la gestion des hommes rien n’étant jamais définitivement acquis, chaque jour, chaque expérience, chaque décision permettra d’enrichir le livre personnel des connaissances du manager dans le domaine.

Partant de là, mettre en place des opérations usuelles de gestion de l’entreprise et des hommes comme le recrutement, les entretiens d’évaluation, la formation, les négociations annuelles obligatoires, le licenciement, les conflits normaux de l’organisation sera pour le manager de l’ordre des activités ordinaires de son travail. 

En matière de management pragmatique, la seule recette qui vaille est l’adage : “cent fois sur le métier remet ton ouvrage”. Cette phrase éclaire le fait que tous les jours le manager devra se préparer à vivre des situations nouvelles qui lui demanderont de se dépasser, de repousser ses limites, d’être inventif mais aussi de laisser exploser ses colères et d’imposer aussi parfois ses points de vue car des décisions doivent être prises pour le bien être de l’entreprise, du groupe, du collectif de travail. 

Ceux qui dureront dans la fonction seront ceux pour qui cet adage deviendra une habitude, une passion et une source d’inspiration. En fait : un art. Cela sera d’autant plus vrai que l’art se définit comme un ensemble d’activités humaines qui consiste à créer de belles choses.


Patricia BRAFLAN-TROBO
Consultante en management et enseignante en gestion des ressources humaines à l’université des Antilles
Docteure en sciences humaines et sociales

Auteure de :

2006 : Conflits sociaux en Guadeloupe. Histoire, identité et culture dans les grèves en Guadeloupe, Ed L’Harmattan

2009 : Société post-esclavagiste et management endogène. Le cas de la Guadeloupe, Ed L’Harmattan

2011 : Couleur de peau, stigmates et stéréotypes. La légende des crabes à l’épreuve du management, Editions Nestor

2020 : L’estime de soi des Noirs – La Guadeloupe : La conjugaison des prophéties, Ed L’Harmattan


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