Prolégomènes à une histoire de l’institution hospitalière en Guadeloupe, comme pivot d’un système de santé à réformer…

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Partie 1

La COVID 19 qui sollicite jusqu’à l’épuisement un personnel de santé stoïque et héroïque, n’a pas ouvert un débat sur le système de santé en Guadeloupe et son pivot, l’hôpital, mais a simplement confirmé la permanence des trémors qui lui sont attachés depuis qu’en 1976 a été construit le centre hospitalier de Pointe-à-Pitre, devenu universitaire en 1980.

Les grèves à répétition, les mouvements de revendication du personnel dès le début des années 80, les nombreux rapports émanant des missions parlementaires, de la Cour des comptes, ne sont pas uniquement de la rhétorique incantatoire : c’est le système de santé qui est malade et avec lui l’hôpital, sa pièce maîtresse.

Vu de l’extérieur, tout se passe comme si l’hôpital n’était qu’une organisation composée de différents corps professionnels, médical, soignant, administratif qui s’opposent en termes de pouvoirs managérial et financier, à propos de l’allocation budgétaire et de sa répartition interne.

En réalité, abstraction faite des comportements corporatistes qui ont marqué les conflits sociaux, à travers les problèmes relatifs à l’évolution des carrières, et qui ont absorbé l’énergie de l’institution hospitalière que certains présentent parfois comme amortisseur des problèmes de l’emploi chez nous,[1] en dehors d’une approche spécifiquement comptable du fonctionnement de l’institution qui semble animer la quasi-totalité des observateurs, il convient de s’interroger sur l’essence même d’un système de soins dont les difficultés ne sont pas uniquement liées à l’absence de moyens et qui laissent interrogateurs les managers de santé.

A ce propos, et nous adressant à des cadres de santé, notre hypothèse centrale est qu’une réflexion managériale uniquement centrée sur le projet fonctionnel, ne peut permettre à l’hôpital de devenir acteur de son destin. Il convient de comprendre en effet que la pertinence des leviers d’action pour l’hôpital doit être appréhendée en dépassant le cadre hospitalier afin d’envisager une gestion de la santé en tant que système ayant une histoire.

 « Les stratégies pour la santé en outre-mer », relatives à l’offre de soins présentent une caractéristique essentielle, celle d’insister d’abord et ensuite et encore sur le financement d’un système, qu’il ne faudrait pas, en réalité, détacher de son environnement socio-économique, climatique, environnemental, politique, idéologique, dont les incidences sont certaines sur le comportement de la population et sur celui des managers de santé.

Le sentiment qui prévaut, c’est que le système de santé existant en Guadeloupe est hospitalo-centrique,[2] inspiré des réalisations occidentales et répond mal aux besoins, tant il est curatif, coûteux, statique, plaqué de l’extérieur alors qu’il devrait être préventif, dynamique, déconcentré, participatif et intégré.

C’est ce qui me conduit à m’interroger sur la trajectoire historique et idéologique de l’hôpital, non pas comme nécessité irréfutable – l’hôpital est une institution quasi universelle – mais comme outil d’un système de justifications, né de l’histoire de la France en Guadeloupe et, par voie de conséquence, soumis à une organisation sociale et politique externe, ce qui cependant ne doit pas faire oublier une part de responsabilité interne.

Notre histoire révèle en effet que dès ses origines, l’hôpital est une institution soumise à des impératifs générés de l’extérieur et qui s’adapte au fur à mesure aux nécessités du Centre, analysé comme la Métropole lointaine.

L’histoire de l’hôpital en Guadeloupe démarre en effet avec la présence française ; elle évolue de pair avec des nécessités économiques et politiques de la métropole coloniale.

Le premier établissement construit, celui des Frères de la Charité, à l’emplacement de l’actuel Palais de justice de Basse-Terre, en 1664 a pour vocation de délivrer assistance et nourriture à l’indigence blanche engagée dans la valorisation des terres et victime à la fois, de la rencontre de l’Européen avec le climatique considéré comme pathogène et des mauvais traitements réservés à ceux que l’on appelle les 36 mois.

L’hôpital répare et assiste le paupérisme secrété par l’organisation différentielle des colons. Ceux qui font le travail de la terre contre ceux qui en profitent. Les raisons d’une telle évolution, sont de trois ordres :

– économique : réparer militaires et marchands, protecteurs et agents du mercantilisme ambiant

– politique : assurer la primauté du politique par la prééminence du gouverneur et celle de l’intendant

– culturelle : assimilation aux colonies de la pratique française d’une gestion ecclésiastique de l’Hôpital – l’hôpital des Frères de la Charité

C’est une structure administrée par les religieux, sous le contrôle de l’Etat et financée par les privés, avec un personnel réduit à sa plus simple expression.

La distribution humaine dans les colonies englobera un volet de plus : la force militaire chargée de protéger et les hommes et le territoire qu’il faut tenir à l’écart des convoitises des autres puissances occidentales, ce qui fera glisser l’hôpital vers une nouvelle exigence : protection et prévention de la santé du militaire, rouage devenu indispensable de la politique expansionniste.

C’est une période de transition où se côtoient dans l’espace hospitalier, indigents, marins et guerriers.

Cette transformation de l’hôpital axée sur l’adéquation ponctuelle des superstructures au mouvement du déterminant économique et donc aux nécessités de la Métropole se confirmera devant la permanence épidémique tant en Europe qu’aux Antilles. La Guadeloupe et les autres colonies seront désignées comme éléments pathogènes, causes allogènes des maladies ravageant la France et l’Occident européen.

Basés sur la prévention, le discours et la pratique sanitaire intégreront une nouvelle donnée : la suppression des importations épidémiques en Métropole, à partir des Antilles.

La politique administrative sanitaire veillera particulièrement à ce que toutes ces causes exogènes soient supprimées au départ des colonies.

L’institution hospitalière s’adaptera à cette nouvelle orientation.

En fait, l’histoire de l’hôpital à ce stade sera marquée par l’occultation de l’Extérieur.

C’est celui-ci, structure dominante, qui déterminera les contours et orientations du sanitaire en Guadeloupe, selon ses besoins.

L’ouverture amorcée dans la période transitoire se confirmera dans cette seconde période, liant l’hôpital aux décisions externes, celles prises par la métropole.

La conséquence sera un début de spécialisation de l’hôpital, avec la mise hors la vue des lépreux (1738) et la confusion organique hôpital-hôpital militaire (1763).

A suivre…

Franck GARAIN
Docteur en sociologie de la santé,
diplômé d’études approfondies
en droit public – Historien.

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